Attention à l'origine du 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes
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- Publié le 17 mars 2022 à 18:44
- Mis à jour le 18 mars 2022 à 15:14
- Lecture : 6 min
- Par : Marin LEFEVRE
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"Le 8 mars 1857, 129 ouvrières d'une usine de textile sont assassinées par leur patron", affirment plusieurs publications virales sur Facebook, partageant une photo sépia de femmes en tablier pour illustrer cette rumeur.
Ces travailleuses auraient été tuées parce qu'elles faisaient grève pour de meilleures conditions de travail ; la journée pour les droits des femmes aurait été "créée en leur mémoire" quelques décennies après, en 1910, poursuivent les internautes qui font circuler cette histoire.
Cette publication a été partagée plus de 20.000 fois en Côte d'Ivoire et en France depuis le 8 mars (1, 2, 3).
Pourtant, la rumeur selon laquelle l'institution de la journée pour les droits des femmes le 8 mars serait liée à une grève massive (voire à des assassinats, comme le prétendent les publications que nous vérifions ici) de couturières est une légende urbaine, comme l'ont assuré deux expertes à l'AFP et comme le montrent plusieurs sources historiques.
Le 8 mars est en réalité une tradition socialiste créée en 1910 et réappropriée par les mouvements féministes puis par les gouvernements et les institutions internationales, dont l'origine réelle a longtemps été occultée en France par le mythe que nous vérifions.
Une journée socialiste
Ce sont cinq militantes féministes - Josée Contreras, Anny Desreumaux, Christine Fauré, Liliane Kandel et Françoise Picq - qui ont découvert que lier la journée du 8 mars à une grève d'ouvrières du textile en 1857 relevait du fantasme.
Sollicitée le 16 mars, Françoise Picq, docteure en sciences politiques et historienne du féminisme, raconte à l'AFP avoir publié en 1977, dans le journal féministe "Histoires d'Elles", avec les trois autres militantes, un article remontant à l'origine de cette date emblématique.
"On est parties à la recherche de l'histoire de ce 8 mars, et nous sommes tombées des nues (...), parce qu'il y avait ce mythe qui variait" d'une source à l'autre, se remémore cette spécialiste. Parfois, cette fameuse grève se déroulait au printemps, d'autres fois en plein hiver; elle impliquait selon un journal des ouvrières de la couture, et selon un autre des chemisières; mais "il existait un fond commun" selon lequel cette grève d'ouvrières avait pris place à New York, le 8 mars 1857, détaille-t-elle.
En consultant les archives des journaux américains parus à cette date ainsi que celles des mouvements ouvriers américains, les militantes réalisent alors qu'il n'existe aucune preuve qu'un tel événement ait eu lieu à cette date.
"On s'est dit que c'était une invention, sans savoir d'où ou de quand: mais clairement, non, le 8 mars 1857, il n'y a pas eu de manifestation, de grève de femmes, ni de répression, ni de victoire. C'est vraiment un mythe", confirme-t-elle à l'AFP, notant par ailleurs un peu amusée que cette date tombant un dimanche, "ce n'était pas le meilleur jour pour la grève".
Quant à la photo qui accompagne ces publications virales, une recherche d'image inversée sur Google permet de la retrouver sur le site de la banque d'images Alamy. Il s'agit d'un cliché d'ouvrières pris durant leur pause déjeuner dans une usine textile de l'Indiana, en août 1908 et conservée par la Bibliothèque du Congrès américain.
Pour la première fois en 1910
En réalité, le principe de cette journée a été évoqué pour la première fois en 1910 par Clara Zetkin, une militante socialiste allemande, lors de la deuxième "conférence internationale des femmes socialistes" à Copenhague (Danemark).
"La décision avait été alors prise de célébrer tous les ans une journée des femmes", raconte à l'AFP Françoise Picq, qui précisait dans un article pour le journal du CNRS que cette journée visait à "contrecarrer l’influence des groupes féministes sur les femmes du peuple".
"Quant à la date du 8 mars, elle fut choisie par Lénine, en 1921, pour commémorer le jour fameux (correspondant au 23 février dans le calendrier de la Russie tsariste) où, en 1917, des ouvrières de Saint-Pétersbourg manifestèrent dans la rue pour demander du pain et le retour des hommes du front", raconte Florence Montreynaud, historienne et autrice du "XXème siècle des femmes" dans un article du Monde diplomatique.
Au fur et à mesure des années, la date s'internationalise. Elle est importée aux Etats-Unis, puis appropriée par les mouvements féministes des années 1970.
Une résolution est adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1977 proclamant "la Journée des Nations Unies pour les droits de la femme et la paix internationale à observer n'importe quel jour de l'année par les États Membres, conformément à leurs traditions historiques et nationales", comme le raconte Slate dans un article. L'ONU choisit le 8 mars pour célébrer cette journée.
En France, la ministre des Droits de la femme Yvette Roudy opte également pour cette date en 1982.
"Mensonge" publié dans L'Humanité
Alors comment arrive-t-on au mythe évoquant les ouvrières du textile en grève? "C'est un mensonge qui apparaît dans L'Humanité en 1955", explique Florence Montreynaud à l'AFP.
Dans les colonnes du journal communiste en 1955, la militante Claudine Chomat développe alors "une argumentation qui dit +Non, l'origine du 8 mars ne vient pas de l'URSS+", explique Françoise Picq.
Pour la militante communiste citée dans un article de l'Humanité de 1999, le 8 mars commémore la "tradition de lutte des ouvrières de l'habillement de New York, qui, en 1857, le 8 mars, manifestèrent pour la suppression des mauvaises conditions de travail, la journée de 10 heures, la reconnaissance de légalité du travail des femmes".
Or il n'existe aucune trace d'une telle grève: en réalité, toujours selon les cinq militantes féministes qui ont recherché l'histoire du 8 mars (dont Françoise Picq), c'est Madeleine Colin, alors responsable élue de la CGT, qui est à l'origine de cette légende. Elle détache ainsi "le 8 mars de son histoire soviétique", comme l'écrit Françoise Picq dans un article académique publié en 2000.
A l'époque, "Madeleine Colin est un peu en conflit avec Jeannette Vermeersch, [la vice-présidente] de l'Union des femmes françaises", détaille la spécialiste à l'AFP. Cette organisation de femmes communistes créée à l'initiative du Parti communiste français célébrait le 8 mars depuis son institutionnalisation par Lénine en 1921. Des événements que Françoise Picq décrit comme l'équivalent de la "fête des mères": il fallait "mobiliser les femmes pour ce que le parti considère qu'il faut faire [mais ne jamais aborder] de questions féministes".
La syndicaliste CGT souhaite alors réhabiliter l'esprit originel ouvrier du 8 mars, désavouant une célébration communiste "devenue beaucoup plus traditionnaliste et réactionnaire".
Quant au lieu et à l'année mentionnés dans cette légende, Françoise Picq évoque dans son article l'hypothèse de la commémoration d'une "grande grève menée par les ouvrières de l’habillement de New-York en 1857". Mais au téléphone, elle précise à l'AFP ne "rien savoir" de pourquoi cette date - et regretter de n'avoir pu "poser directement la question" à Madeleine Colin.
La déclinaison de cette infox que nous vérifions pourrait elle s'inspirer d'un fait divers tragique ayant tué plus d'une centaine d'ouvrières du textile: en 1911, plus de 140 travailleuses perdent la vie dans l'incendie de leur usine à New York, note le site 8mars.info. Un drame dû à l'absence de mesures de sécurité qui eut "une incidence considérable sur la législation du travail" aux Etats-Unis, ajoute cette plateforme.
18 mars 2022 Correction aux 6e et 21e paragraphes du nombre de militantes féministes (cinq et non quatre) à l'origine de la découverte de l'origine du 8 mars