Coronavirus : la chloroquine, une piste très préliminaire à prendre avec prudence, selon des experts
Des publications Facebook dans plusieurs langues et partagées des dizaines milliers de fois affirment que la chloroquine, un traitement connu contre le paludisme, permet de guérir le nouveau coronavirus. C'est trompeur : si cette molécule a donné des signes d'efficacité selon une étude chinoise récente, elle n'est pas validée comme traitement par les autorités scientifiques et sanitaires internationales et plusieurs experts expliquent qu'en consommer sans avis médical peut se révéler dangereux.
De nombreuses publications Facebook affirment depuis quelques jours que la chloroquine ou son dérivé, le phosphate de chloroquine, permet de traiter les malades et incitent à en consommer.
La chloroquine est un anti-paludique peu cher utilisé depuis plusieurs décennies et commercialisé, notamment, sous le nom de Nivaquine. Ce traitement est recommandé en zone infestée par le parasite du paludisme, transmis par les moustiques.
Cette vidéo a été vue plus de 40.000 fois depuis le 26 février. Son auteur se contente de filmer sa télévision où est diffusé un reportage du journal télévisé belge RTL Info sur une possible efficacité de la chloroquine.
Mais le titre apposé sous la vidéo est extrêmement trompeur : "Urgent le nom du médicament qui traite le Coronavirus est connu "CHLOROQUINE"". Elle a été publiée par le compte d'un site "d'actualités people" sur la Côte d'Ivoire.

On retrouve la même vidéo avec le même titre en français ici par exemple (1.300 vues en quelques heures, diffusée le 27 février). Variante avec cette autre vidéo (1.200 vues depuis le 25 février), en anglais, avec le titre "Finally Chloroquine is the cure for China's Coronavirus" ('"Finalement, la chloroquine est le remède contre le coronavirus de Chine").
Au Pakistan, on retrouve aussi ce visuel reproduit ci-dessous, qui dit en anglais que le pays a envoyé "300.000 comprimés reconnus efficaces pour le coronavirus en Chine" avec une photo d'une boîte de Resochin -un médicament à base de phosphate de chloroquine- et celle d'un flacon dont l'étiquette dit "Vaccin coronavirus".

Cet article de "Pakistan Today" est titré en anglais"le Pakistan a un remède contre le coronavirus !". Il rapporte l'envoi de boîtes de Resochin depuis le Pakistan vers la Chine début février.
Interrogé par l'AFP, un porte-parole du groupe Bayer a confirmé que le groupe avait bien "fourni 300.000 comprimés du médicament Resochin (ingrédient actif, la chloroquine) depuis le Pakistan vers la Chine début février 2020" et ajouté qu'ils avaient été envoyés gratuitement.
Cela s'est fait "à la demande des autorités sanitaires de la province du Guanddong, qui a testé avec succès la substance active dans des études pour déterminer sa pertinence dans la lutte contre le virus", a ajouté ce porte-parole dans un mail.
La chloroquine fait en effet partie des nombreuses molécules, testées par les scientifiques pour tenter d'endiguer l'épidémie (la liste de l'Organisation mondiale de la santé est disponible ici).

Si la chloroquine a donné des signes d'efficacité selon des scientifiques chinois, aucun traitement n'est validé contre le nouveau coronavirus par les autorités internationales.
A fortiori, l'existence d'un vaccin contre ce coronavirus -suggérée par le visuel repéré au Pakistan ci-dessus- est totalement fausse: la perspective d'un éventuel vaccin, très hypothétique, est très lointaine, de l'ordre de plusieurs mois au moins, voire un an/un an et demi, comme expliqué par le directeur de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus le 18 février.
Le point de départ, une (brève) publication scientifique chinoise
Les posts sur les réseaux sociaux sur des effets de la chloroquine sur le coronavirus se sont multipliées depuis une publication de scientifiques chinois publiée le 19 février.
Elle relate un essai clinique mené dans une dizaine d'hôpitaux chinois pour mesurer "l'efficacité de la chloroquine sur le traitement de pneumonies associées au Covid-19" a donné des résultats encourageants avec des essais sur "plus de 100 patients".

Le phosphate de chloroquine s'est révélé "plus efficace que le traitement reçu par le groupe comparatif pour contenir l'évolution de la pneumonie, pour améliorer l'état des poumons, pour que le patient redevienne négatif au virus et pour raccourcir la durée de la maladie", disent ses auteurs.
Le texte ne donne pas de chiffres permettant de quantifier l'efficacité de la molécule par rapport au traitement administré au groupe témoin.
Ces résultats sont brièvement résumés dans une "lettre" publiée par la revue 'BioScience Trends', basée au Japon. Elle a été "reçue" et "acceptée" par la revue le 18 février, avant d'être mise en ligne le lendemain, comme le peut le voir en ouvrant l'onglet "Details" sur cette page internet.
Interrogé par l'AFP, un membre de cette revue a expliqué que la lettre sert à "partager des informations" de façon "rapide et transparente", en l'espèce dans un contexte "d'urgence mondiale de santé publique" et qu'il s'agit d'un format différent d'un article ou d'une étude scientifique à proprement parler.
Il existe des milliers de revues scientifiques dans le monde, dont les plus prestigieuses en médecine sont par exemple 'The Lancet", "Nature" ou le "New England Journal of Medicine".
Pour le professeur Didier Raoult, directeur de l'Institut Méditerranée Infection à Marseille et spécialiste renommé des maladies infectieuses, qui a relayé cette étude en France, cette étude vient "confirmer" l'efficacité de la chloroquine contre le nouveau coronavirus.
La chloroquine ne peut pas être considérée comme un remède
Mais cet avis est loin de faire l'unanimité et cette potentielle piste doit être accueillie avec la plus grande prudence, ont prévenu plusieurs autres spécialistes français interrogés par l'AFP.
"Il faut être extrêmement circonspect et prudent", note d'emblée François Maignen, docteur en pharmacie et spécialiste de santé publique, qui pointe les limites de l'étude chinoise.
"Il faut avoir à disposition les protocoles, pour savoir comment l'étude a été conduite, quels ont été les critères d'évaluation, la population de patients", selon les standards habituels de tests de médicaments, explique-t-il.
Et "une fois les résultats disponibles, il faut une phase de publication (...) pour que les données soient évaluées de façon critique" par des experts, notamment les scientifiques de l'OMS, poursuit François Maignen.
En l'absence de données cliniques solides et publiques, on ne peut pas en déduire une preuve d'efficacité ni des recommandations, dit encore François Maignen, qui appartient au collectif "FakeMed", qui veut lutter contre les fausses informations en santé.
De plus, "il faut faire attention car la chloroquine (...) a un certain nombre d'effets indésirables (...): affections du système immunitaire, affections gastro-intestinales, nausées, vomissements, des troubles au niveau hépatique voire hématologique", abonde le professeur Jean-Paul Giroud, l'un des spécialistes les plus reconnus en pharmacologie et membre de l'Académie nationale de Médecine.
La chloroquine peut même être "très dangereuse en cas de surdosage", insiste François Maignen.
L'OMS liste ici les caractéristiques et les effets indésirables de la choloroquine.
Le ministère français des Solidarités et de la Santé a aussi twitté le 26 février sur le sujet:

"Le problème, c'est que la Nivaquine traîne dans de nombreuses armoires à pharmacie", s'inquiète aussi le médecin généraliste Christian Lehmann (collectif "FakeMed") qui invite "à ne pas toucher à la Nivaquine sans avis médical".

"L'efficacité sur le coronavirus de la chloroquine n'est théoriquement pas invraisemblable mais (...) basée sur des notions pour l'instant assez fragiles", ajoute le Pr Bouchaud, rappelant que des études ont déjà pu montrer des effets de la chloroquine sur des virus, mais qui sont "relativement limités".
Prudence aussi pour le numéro 2 du ministère français de la Santé, Jérôme Salomon, au cours du point presse hebdomadaire le 26 février . "Aujourd'hui, la communauté scientifique n'est pas très convaincue. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y intéresser", a-t-il dit, mais avec des recherches bien plus poussées.
Le 5 mars, le nombre de cas de nouveau coronavirus dans le monde s'élevait à 95.371, dont 3.281 décès, dans 84 pays et territoires, selon un bilan établi par l'AFP à partir de sources officielles à 9h00 GMT.
CORRECTION : 05/03 : corrige coquille et ajoute dernier bilan du COVID-19