Attention, ces propos attribués à l’opposant politique congolais Martin Fayulu sont tronqués
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- Publié le 25 février 2021 à 18:44
- Mis à jour le 25 février 2021 à 18:45
- Lecture : 7 min
- Par : Sadia MANDJO
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Une interview décousue et parfois incohérente: c’est ce que prétend relayer une publication Facebook du 17 février, qui assure partager des extraits d’un entretien accordé par l’opposant politique congolais Martin Fayulu à la radio française Radio France internationale (RFI).
Cette publication, qui cumule plus de 1.000 partages sur des pages Facebook de République démocratique du Congo (RDC), liste cinq questions prétendument posées par la journaliste Sonia Rolley au candidat malheureux à la présidentielle de 2018, avec en contrepoint les réponses de Martin Fayulu.
Le responsable politique y assure notamment vouloir conditionner son éventuelle candidature à la présidentielle de 2023 à la mise en œuvre des réformes "présentées" dans son "plan de sortie de crise", et accuse le Front commun pour le Congo (FCC) de l'ex-président Kabila de "copier ses points de vue".
"Mafa (Martin Fayulu, nldr) ne sait pas de quoi il parle", conclut l’auteur de la publication, qui ponctue son message par des émoticônes rieurs. Un avis partagé par plusieurs internautes, qui relèvent dans leurs commentaires l’"incohérence" des réponses apportées par l'opposant congolais.
Martin Fayulu a-t-il tenu ces différents propos, et sous cette forme? Pour le vérifier, l’AFP a comparé les extraits de la publication Facebook et l’interview d’origine, publiée sur le site de RFI le 14 février sous le titre Martin Fayulu: "l’Union sacrée ce n’est pas de la politique, ce sont des stratagèmes pour se maintenir au pouvoir”.
Cet entretien, disponible en version écrite et audio, comporte 18 questions, soit bien plus que les cinq sélectionnées par la publication facebook. Si certains extraits sont proches de ceux relayés sur les réseaux sociaux, d’autres s’éloignent en revanche de la version originale.
Les cinq questions que nous vérifions n’apparaissent ainsi pas clairement dans l’entretien diffusé sur RFI. Quant aux cinq réponses, elles sont parfois incomplètes, parfois déformées, parfois sorties de leur contexte. Voici point par point ce qui différencie les extraits relayés sur Facebook de l’interview originale.
Première question : trompeur
La première question correspond à peu près à l’une des questions de l’entretien: la journaliste s’interroge sur le positionnement politique de Martin Fayulu, dont les critiques contre le président congolais Felix Tshisekedi rejoignent désormais celles formulées par l'ancien chef d'Etat Joseph Kabila.
Mais la question n’est pas posée de la même manière. Et les réponses de Martin Fayulu diffèrent sensiblement. Dans l’extrait publié sur Facebook, ce dernier estime que le FCC de Joseph Kabila a "copié" ses "points de vue" afin de "tromper le peuple".
Dans la version originale, il assure en revanche que son parti -- la coalition Lamuka -- n’a pas “le même langage” que le FCC et dénonce une “incompréhension” de nature “extrêmement grave”. Cette comparaison est faite “pour tuer Lamuka, pour tuer Fayulu et Lamuka”, insiste-t-il.
Deuxième question : sortie de son contexte
Le deuxième extrait de la publication Facebook ne constitue pas une question à part entière dans l’interview: il s’agit d’une reformulation de la question précédente. La réponse, dans laquelle Martin Fayulu dénonce la "stratégie de Kabila" pour "se maintenir au pouvoir", n'apparaît pas non plus telle quelle dans la version originale.
Certains propos de l’entretien se rapprochent toutefois de cette citation, notamment lorsque M. Fayulu évoque la majorité gouvernementale dite d’ "Union sacrée". "Ce n’est pas de la politique ici, ce sont des stratagèmes pour se maintenir au pouvoir", estime le responsable politique, opposé à cette large coalition.
"L’Union sacrée de la nation" est le nom donné à la nouvelle majorité parlementaire du président Félix Tshisekedi, qui a mis fin début décembre à la coalition qu'il formait avec son prédécesseur Joseph Kabila depuis sa victoire à l’élection présidentielle de décembre 2018.
Dans le cadre de cette nouvelle majorité, qui revendique 391 députés sur 500, le président a réussi à rallier à sa cause de nombreux parlementaires jusque-là affiliés au FCC. Plusieurs proches de Joseph Kabila, restés fidèles à l’ancien chef d’Etat, ont en revanche été écartés.
Troisième question : proche de l'original
La troisième question de l’extrait partagé sur Facebook résume bien les propos de Martin Fayulu: dans la version courte, ce dernier assure que Joseph Kabila "conserve le pouvoir" et dispose d’une "stratégie pour conserver ses biens", malgré son apparent isolement; or l'opposant a tenu des propos similaires sur RFI.
"Il faut simuler une crise, une crise grave. Il faut faire en sorte que Kabila qui est honni par le peuple congolais soit, comment dire, maltraité pour s’acheter une légitimité", assure dans l'entretien M. Fayulu, qui accuse Félix Tshisekedi et Joseph Kabila de tromper le peuple congolais en simulant une rupture entre leurs deux partis.
Pendant ce temps, Kabila "gagne sa survie. En tant qu’homme, il vit avec ses biens matériels", poursuit-il.
Quatrième réponse : incomplète
Dans la version Facebook, Sonia Rolley demande à Martin Fayulu s’il sera candidat à la présidentielle de 2023. "Il faudrait qu'il y ait d'abord les réformes que j'ai présentées dans mon plan de sortie de crise", répond l’intéressé.
Cette phrase ne figure pas dans l’interview de RFI, où le responsable politique se montre en apparence plus ouvert à une candidature. "Il faudra poser la question au peuple congolais. C’est le peuple qui décide", assure-t-il.
Relancé sur les éventuelles conditions à sa participation, le chef de file de Lamuka assure alors que "les conditions sont là", en évoquant des "réformes institutionnelles consensuelles" et le fait "qu’elles soient menées par toutes les parties prenantes".
Cinquième réponse : tronquée
La réponse à la cinquième question, qui porte sur l’isolement du parti Lamuka à l’Assemblée nationale, est quant à elle déformée. Dans la version Facebook, Martin Fayulu répond qu’il a été "élu président en 2018 avec 68%" des voix. Or dans la version originale, il estime avoir remporté "62%" des voix.
La seconde partie de la réponse sur la publication Facebook ne figure par ailleurs pas à cet endroit, ni sous cette forme exacte, dans l’interview originale: elle est tirée d’une autre question.
Martin Fayulu, qui se présente sur son compte twitter comme le "président élu", a toujours contesté les résultats de l'élection présidentielle de 2018. Son parti Lamuka avait alors dénoncé un "putsch électoral" et s’était autoproclamé vainqueur avec 61% des voix, contre 34,8% selon le décompte officiel.
Selon des documents de la Commission nationale électorale indépendante (Ceni) et de la Conférence épiscopale (Cenco) révélés en janvier 2019, soit un mois après l'élection, Martin Fayulu aurait bien remporté cette élection avec 62,8% des voix comme il le proclamait.
Plusieurs médias, dont TV5 Monde, RFI et le Financial Times, avaient pu consulter ces milliers de pages censées rester confidentielles, comme l’explique cet article de TV5 Monde.