Accompagner les hommes violents, un principe encore tabou mais efficace

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 22 novembre 2019 à 18:00
  • Lecture : 3 min
  • Par : Sandra LAFFONT
Aider psychologiquement les auteurs de violences conjugales pour éviter la récidive: d'anciens hommes violents et des experts témoignent de l'efficacité de ces mesures qui restent encore tabou.

"Quand je m'engueule avec ma femme et qu'elle n'est pas d'accord, ça m'énerve", a témoigné l'un d'eux devant la Garde de Sceaux Nicole Belloubet, invitée il y a quelques semaines en Isère par deux députées LREM, Olga Givernet et Caroline Abadie. "Mais maintenant, j'arrive à identifier mon degré de colère".

Il est suivi par son conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation et reconnaît les "bienfaits" de cette prise en charge.

Cet autre, "violent avec (sa) femme" devant leur fille, a pu bénéficier d'un appartement d'urgence: un dispositif qui lui a permis de "faire une coupure" et de se "remettre en question", a-t-il expliqué.

"J'ai un problème par rapport à mon enfance. Je le savais mais j'avais honte d'aller voir quelqu'un", a-t-il reconnu.

Les spécialistes des violences conjugales sont unanimes, si on prenait en charge les auteurs, on pourrait éviter la récidive. 

"Le problème c'est bien les auteurs, donc occupons-nous du problème. Si on ne soigne pas ces hommes, on avance comment ? on déménage tous les quatre matins ?", lance Morgane Seliman, une victime qui a raconté son histoire dans un livre, "Il m'a volé ma vie".

Mais consacrer de l'argent public à des hommes violents reste tabou, la priorité restant l'aide aux victimes.

Le peu de structures qui existent pour cela manquent de moyens. La Fédération des associations et des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales et familiales (Fnacav) ne compte qu'une trentaine de membres.

Il y a de rares foyers d'accueil comme l'Altérité de Besançon ou le Home des Rosati à Arras. Et quelques associations de suivi de contrôle judiciaire ou d'accueil thérapeutique, mais avec de grosses disparités régionales, avec par exemple aucun dispositif dans l'Ouest ou les métropoles de Lyon et Bordeaux. 

Travailler sur l'acceptation

La justice dispose de tout un arsenal mais qui reste sous-utilisé: suspension de l'autorité parentale, bracelet électronique, éviction du domicile familial.

Mais, surtout, tous ces dispositifs ne servent à rien sans un accompagnement parallèle et personnalisé, plaidait Alain Montigny, directeur du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) en Isère lors d'un table-ronde à Lyon fin octobre.

Cela suppose de travailler sur l'acceptation, la gestion des émotions, les éventuelles addictions (alcool, cannabis), et de se faire soigner si nécessaire. Un immense chantier dans son service où 10% des 4.000 personnes suivies le sont justement pour violences conjugales.

"On pense souvent qu'écarter et punir suffit. Mais finalement ça recommence", remarque Aniela Charriau, psychologue à l'association REMAID à Valence.

Elle cite l'exemple du Québec, qui a mesuré l'importance de la prise en charge des auteurs de violences qui continuent de se vivre comme victimes, et peuvent donc récidiver. "Sans travail sur cette perception, ils ne comprennent pas", dit-elle.

Les groupes de parole sur le mode des alcooliques anonymes peuvent ainsi permettre à l'auteur de sortir du déni grâce à une identification à l'autre. Il en existe dans plusieurs régions, mais rien de systématique à l'heure actuelle.

Tous les experts soulignent la grande efficacité des dispositifs d'accompagnement psychologique, qui permettent de faire chuter le taux de récidive des violences conjugales d'environ 50% à 20%, rapporte la Fnacav dans un récent courrier à des parlementaires.

La ministre de la Justice Nicole Belloubet a reconnu qu'il s'agissait là d'"une vraie question" sur laquelle les autorités n'apportent pas "de réponse suffisamment affinée ou déployée"

Mais peut-être cela peut-il changer. En visite au centre d'Arras il y a quelques semaines, la secrétaire d'Etat à l'Egalité Marlène Schiappa, pourtant "sur la réserve" au départ, s'est dite "très convaincue par le travail mené par l'équipe".

Selon un décompte et une étude au cas par cas menée par l'AFP, au moins 116 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint depuis le 1er janvier. 

En 2018, 121 femmes avaient été tuées, selon le ministère de l'Intérieur. Dans 40% des cas, elles avaient subi des violences antérieures de la part de leur compagnon.

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