
Jean-Marc Michaud
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 04 avril 2019 à 09:00
- Mis à jour le 17 novembre 2023 à 10:50
- Lecture : 3 min
- Par : Benoit PETIT, Elodie LE MAOU
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
Jean-Marc, dit "Jim", est horticulteur et réside sur l'île d'Oléron. Blessé le 8 décembre, il a continué ensuite de manifester. L'AFP l'a rencontré le 4 février 2019, et l'a recontacté mi-octobre à l'occasion des un an du mouvement des "gilets jaunes" pour faire le point sur sa situation.
Pourquoi étiez-vous là ?
On était là pacifiquement, pas en agresseurs. Si j'avais voulu aller taper" du CRS, j'y serais allé avec 50 potes, pas avec ma petite femme (...). Merde! On a quand même a le droit de gueuler, on n'en veut plus de cette France politicarde qui s'en met plein les poches, qui ne pense qu'aux riches !
Que s'est-il passé ?
Mes premières manifestations ça ne craignait pas, c'était à Rochefort, il y a 75% de retraités. Comme cela faisait un mois que je n'avais pas vu ma femme, (aller manifester à Bordeaux) c'était l'occasion de passer un petit moment ensemble et de s'amuser car c'était très festif.
Vers 16h30/17H00 ça a commencé à dénégérer, les premières lacrymo et grenades. (...) Il y a une charge de +baqueux+ qui nous allument. On part, on se cache derrière un mur, je pousse ma femme et moi je me mets (les mains) en l'air (il mime le geste, ndlr) et là ils m'ont abattu comme un chien, à 5/6 mètres, 7 mètres maximum.
Je me suis réveillé le dimanche soir à l'hopîtal, en chambre stérile, branché de partout. (...) Puis j'ai vu ma femme entrer, en combinaison (...). J'en ai pleuré.
Quelle est votre vie maintenant ?
Pour l'instant il n'y a pas de futur, il n'y a que le présent. Et je pense que toutes les victimes sont comme ça. Physiquement je me sens bien, je suis combatif. Par contre, moralement j'ai des faiblesses. La perte d'un oeil, c'est quelque chose de très dur. J'étais très sportif, je faisais du kayak en mer, j'allais pêcher... Il y a beaucoup de choses que je ne peux plus faire. J'étais horticulteur. Dernièrement, je taillais les vignes chez un viticulteur mais je ne peux plus car je n'ai plus la 3D.
Je n'arrive plus à prendre ma femme dans mes bras. Je n'arrive même pas à me regarder dans une glace, je ne me suis pas rasé depuis. Je ne me reconnais pas. Quand j'arriverai à m'accepter, alors j'accepterai les câlins de ma femme.
¤¤¤
A l'occasion du premier anniversaire de lancement du mouvement, l'AFP a réinterrogé mi-octobre les manifestants éborgnés.
Jean-Marc Michaud fait des réponses entrecoupées de pleurs. "C’est quoi ma vie aujourd’hui ? Je ne fais rien. Je n’arrive presque plus à sortir, je reste bloqué chez moi. Le seul truc que je fais c’est le samedi quand je vais en manif. Mais même là ce n’est plus vraiment moi, ce n’est plus le même Jim qu’avant la blessure. C’est pas normal, j’ai peur de l’extérieur, j’ai 42 ans, je suis ancien militaire, en 97 j’ai défilé sur les Champs-Elysées et là ce sont les +condés+ qui me niquent ma vie parce que je protégeais ma femme. Le seul truc que je fais, c’est me défoncer la gueule."
"On a voulu détruire le mouvement mais moi je le côtoie. Il est beau, il est fraternel. Il y a encore beaucoup de possibilité. Regarde maintenant les pompiers aussi se font tabasser, ils nous disent +c’est bon, on comprend ce que vous avez vécu+” dit Jean-Marc.
Sa compagne, Célia, raconte "des crises d'angoisse et des terreurs nocturnes (...). Quand l’ambulance l’a emmené et que j’ai dû le rejoindre en tramway à l’hôpital je m’attendais à ce qu’on mise “il est mort. Je suis marquée à vie. ça me travaille énormément, je veux au moins qu’on reconnaisse sa blessure."
¤¤¤
A l'occasion du cinquième anniversaire de lancement du mouvement, l'AFP a réinterrogé à l'automne 2023 les manifestants éborgnés.
Il a déposé en 2020 une plainte pénale qui a été classée sans suite en 2021 pour auteur inconnu.
Il a alors saisi la justice administrative pour tenter de "faire reconnaître la responsabilité de l'Etat" et d'obtenir une indemnisation. La procédure est toujours en cours: en septembre, le Tribunal administratif de Bordeaux a ordonné une expertise médicale qui n'a pas encore eu lieu, selon son avocate, Me Ophélie Berrier.
"M. Michaud ne va pas bien. Il doit certainement se faire réopérer" au niveau de l'orbite, a-t-elle expliqué à l'AFP
Retrouvez notre dossier sur les manifestants, passants, lycéens grièvement blessés à l'oeil durant l'hiver 2018-2019.
EDIT 04/04 : ajoute Elodie Le Maou comme co-auteur EDIT 13/11/2019 : article mis à jour EDIT 17/11/2023 : article mis à jour