Le Kenya a-t-il un problème de natalité en raison du manque d’hommes ?

Une rumeur étendue de l’Est à l’Ouest de l’Afrique affirme que des femmes kényanes ont manifesté contre le “manque d’hommes” dans leur pays. Mais il n’existe pas de réel décalage démographique entre les femmes et les hommes en âge reproductif au Kenya, et au moins une photographie utilisée pour illustrer cette rumeur a été sortie de son contexte.

Sur une photographie, des femmes marchent, le bras en l'air. Selon le site de la station sénégalaise Vibe Radio 102.3, cette scène aurait eu lieu au Kenya, pour protester contre “le manque d’hommes pour enceinter les femmes”.

Ce pays souffre d’un déficit criard entre les genres et pour ne rien arranger à la situation, les hommes font face à l’alcoolisme. Nos hommes passent du temps dans les bars et arrivent tard chez eux très faibles, incapables de tuer le rat (sic). Une triste réalité pour ces femmes qui ne demandent qu’à tomber enceintes, au final”, lit-on dans cet article daté de la fin du mois de mai.

Dans les commentaires, certains internautes se portent même volontaires pour “enceinter” les Kényanes, en laissant leur numéro de téléphone.

Sur les réseaux sociaux, cette rumeur est partagée dans de nombreux pays africains. Sur la page Facebook “La femme digne et respectueuse”, elle culmine à près de 8.000 partages depuis sa publication, en novembre 2018.

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(Capture d'écran Facebook du 8 juin)

On retrouve trace de rumeurs similaires dès 2015, sur des forums kényans, mais également  en Zambie.

Y a-t-il véritablement plus de femmes que d’hommes au Kenya ?

Oui, mais le déficit démographique entre les hommes et les femmes, au Kenya est bien moins alarmant que ne le laisse à penser cette rumeur. Selon un rapport du bureau national des statistiques au Kenya, daté de 2017 mais reprenant les chiffres du dernier recensement en 2009, et disponible sur internet, la population kényane était composée de 22,5 millions de femmes pour 21,9 millions d’hommes.

Toutefois, cet écart est moindre pour les femmes en âge de se reproduire. Si l'on considère par exemple les Kényans âgées de 15 à 34 ans, on compte 8,3 millions de femmes pour 7,9 millions d’hommes.

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(Capture d'écran du rapport 2017 du bureau national des statistiques au Kenya)
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Contacté par l’AFP, Fredrick Okwayo, spécialiste de la démographie au bureau de Johannesburg  du Fonds des Nations-Unies pour la population, explique les raisons de ce décalage. “A notre époque, et contrairement au XIXème siècle, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Cette tendance est différente dans quelques pays d’Asie, dont la Chine et l’Inde, où l’on pratique la sélection des sexes en faveur des garçons”, précise M. Okwayo.

“Les raisons qui expliquent cet écart s’expliquent par des facteurs biologiques, comportementaux et environnementaux. La baisse du nombre d’enfants par femme a, par exemple, grandement augmenté leur espérance de vie. L’avancement de la médecine a enrayé certaines maladies infectieuses qui touchaient les femmes au XIXème siècle. De plus, les habitudes de vie des hommes les exposent à une mort plus précoce : au nombre d’entre elles, le fait de fumer, ou d’effectuer certains travaux de force dangereux qui les expose au risque de mourir bien avant les femmes”, conclut-il.

A titre de comparaison, le dernier recensement effectué à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en 2010, dénombre 11,2 millions de femmes contre 10,7 millions d’hommes.

Au Sénégal, le dernier recensement de la population, datant de 2017, met en avance la même disparité de genre : la population âgée de plus de 35 ans est de 1,675 million d’hommes, pour 1,824 million de femmes.

En France, ce décalage existe également : selon le dernier recensement de l’Institut national d’études démographiques, la population française est constituée de 31,361 millions d’hommes pour 33,450 millions de femmes.

Dans quel contexte a été prise la photographie ?

Une recherche sur google images, avec les mots “women protest Kenya”, permet de retrouver la première photographie. Elle a été prise par la photographe de l’agence Reuters Noor Khamis le 17 novembre 2014 à Nairobi, la capitale du Kenya. Cette photographie est visible sur le site de l'agence de presse britannique Reuters.

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(Capture d'écran du site Reuters)

Selon le Daily Star, qui reprend une dépêche de l’AFP, des centaines de Kényans s’étaient rassemblés pour protester contre l’agression d’une femme en mini-jupe, qui avait alors fait le tour des réseaux sociaux.

De nombreuses femmes, portant elles-mêmes shorts et mini-jupes, avaient alors défilé dans le centre de Nairobi, en arborant des banderoles appelant à la dignité, au respect et à la justice pour tous.

Nous n'avons pour l'instant pas remonté la piste des deux autres photos. 

 

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