Une vidéo montrant une cérémonie de "l'enterrement des relations" entre la France et le Ghana ? C'est infondé

La rupture des accords de défense entre le Tchad et la France, annoncée à la fin du mois de novembre, éloigne un peu plus Paris de ses alliés historiques en Afrique francophone. Dans ce contexte, des publications prétendent dévoiler une vidéo marquant la fin des relations entre la France et le Ghana, l'un de ses partenaires anglophones sur le continent. Mais ces images n'ont aucun lien direct avec la France : elles montrent en réalité des partisans du National Democratic Congress (NDC), parti politique sorti victorieux des dernières élections au Ghana, après huit ans de gouvernance du New Patriotic Party (NPP).

Les relations diplomatiques et militaires entre la France et ses alliés d'Afrique francophone se sont progressivement détériorées, voire totalement rompues, ces dernières années.

Entre 2022 et 2023, quatre anciennes colonies françaises, le Niger, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso, ont enjoint Paris à retirer son armée de leurs territoires, où elle était historiquement implantée.

Fin novembre 2024, le Sénégal puis le Tchad ont également signifié coup sur coup leur volonté d'infléchir leur coopération miliaire avec la France, qui cherche à renforcer ses liens avec des pays d'Afrique anglophone comme le Nigeria ou encore le Ghana (lien archivé ici).

Après le président ghanéen Nana Akufo-Addo, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu était ainsi attendu fin novembre chez son homologue français Emmanuel Macron, qu'il a qualifié d'"ami", dans le cadre d'une visite d'Etat inédite depuis 24 ans. Une manière de signaler la volonté de Paris de diversifier ses partenariats en Afrique, au-delà de son pré carré francophone. 

Dans ce contexte, des publications diffusées sur les réseaux depuis le 10 décembre 2024 prétendent dévoiler des images de "l'enterrement de relation [sic] entre France et Ghana" (lien archivé ici)

Dans cet extrait vidéo de 0'33' secondes, une petite dizaine d'hommes portent à bout de bras un cercueil, décoré des couleurs bleu, blanc et rouge - les mêmes que le drapeau français. "R.I.P", peut-on y lire, pour "rest in peace" en anglais, ou "repose en paix" en français. 

"GHANA : Enterrement de la FRANCE. Avec le nouveau régime qui vient de s'installer, la population à exprimer sa volonté [sic]. Et si on donnait un coup de pousse aux peuples ghanéen dans ce sens [sic]", avance un autre compte sur X, qui arbore sur sa photo de profil le visage du chef de la junte burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré (lien archivé ici). 

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et X (à droite) le 19 décembre 2024, croix rouges ajoutées par la rédaction de l'AFP

Mais ces images n'ont aucun lien avéré avec les relations franco-ghanéennes.

En réalité, elles montrent des partisans du National Democratic Congress (NDC) symboliquement enterrer les emblèmes du New Patriotic Party (NPP), ont assuré à l'AFP deux représentants de ces partis politiques, qui s'affrontaient dans les urnes lors des élections présidentielle et législatives organisées en décembre au Ghana.

A l'issue de ces scrutins, le candidat du parti d'opposition NDC, John Mahama, a remporté la présidentielle avec 56% des voix, signant son retour à la tête du pays huit ans après l'avoir quittée. Le candidat du NPP et vice-président du pays, Mahamudu Bawumia, a quant à lui récolté 41% des suffrages et a rapidement reconnu sa défaite.

Il a par ailleurs confirmé que le NDC a également remporté les élections législatives, qui se tenaient le 7 décembre.

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Un électeur vote dans le 7 décembre 2024 lors des élections présidentielles et législatives au Ghana (AFP / NIPAH DENNIS)

Des indices visuels

Parce que le cercueil visible dans la vidéo porte les mêmes couleurs que le drapeau français, des dizaines de publications prétendent qu'elle montre des Ghanéens signifier, symboliquement, leur volonté de mettre fin aux relations tissées entre la France et le Ghana.

Mais plusieurs indices visuels tendent à montrer qu'il s'agit d'une toute autre scène. 

A la vingtième seconde de cet extrait, on aperçoit par exemple le logo d'un éléphant apposé sur le cercueil, précédé de la mention "R.I.P. NPP" (acronyme signifiant en français, "repose en paix NPP").

Ce logo est bien celui du New Patriotic Party, tout récemment battu par l'opposition. On le retrouve sur le site web du mouvement politique, mais aussi sur des drapeaux brandis dans les rues par ses partisans lors de la dernière campagne politique, dont certains événements ont été immortalisés en décembre par des photographes de l'AFP (lien archivé ici).

Ses couleurs sont les mêmes que celles figurant sur le drapeau de la France : le bleu, le blanc et le rouge, mais en bandes horizontales.

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Comparaison entre une capture d'écran prise sur X le 19 décembre 2024 (à gauche) et une photo des partisans du vice-président du Ghana et candidat à la présidence du New Patriotic Party (NPP), Mahamudu Bawumia, prise le 5 décembre 2024 à Accra (à droite) (AFP)

Par ailleurs, la plupart des hommes qui transportent le cercueil sont vêtus du même t-shirt blanc, floqué de la mention "NDC". D'autres spectateurs de la scène, dans la foule en arrière plan, sont habillés aux couleurs du victorieux National Democratic Congress.

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Comparaison entre une capture d'écran prise sur X le 19 décembre 2024 (à gauche) et une photo des partisans du nouveau président du Ghana John Mahama (NDC) célèbrant sa victoire à Accra, prise le 8 décembre 2024 (à droite) (AFP)

Un rassemblement politique dans le nord du Ghana

L'AFP n'a pas retrouvé d'occurrence de la vidéo dans la presse locale ou nationale. En revanche, elle avait été publiée sur TikTok le 29 septembre 2024, a révélé une recherche d'image inversée. Elle y est accompagnée de cette légende, en anglais : "Au revoir NPP, repose en paix par avance" (lien archivé ici).

Sur ces images de meilleure qualité, on peut lire sur le cercueil "Bye bye NPP in Tamale", capitale de la région du Nord du Ghana.

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Capture d'écran prise sur TikTok le 19 décembre 2024, ajout d'encadré par l'AFP

Afin de collecter plus d'informations sur le contexte dans lequel elles ont été tournées, l'AFP est entrée en contact avec des représentants du NPP et du NDC pour la région du Nord.

"Ces garçons, partisans du NDC, s'enthousiasment d'une victoire contre le NPP, c'est ce que je vois dans la vidéo", a ainsi assuré à l'AFP le directeur de la communication du NPP pour la région de Tamale, Chairman Danjimmah Yussif, le 17 décembre.

"L'homme qui porte le cercueil et un talisman autour du cou est un partisan bien connu du NDC dans la région de Tamale", a-t-il ajouté. 

"C'est ce que font normalement les jeunes, (...) même le NPP le fait chaque fois que le NDC perd une élection. Il n'est pas rare de voir de tels cercueils portés lors de rassemblements politiques", a abondé le même jour Sulemana Mohammed, responsable communication du NDC pour la région du Nord. Selon lui, cette vidéo aurait été tournée "dans la banlieue de Tamale ou quelque part dans la région".

"Lors des rassemblements du NPP, il est courant de les voir porter un cercueil aux couleurs du NDC", a-t-il également indiqué auprès de l'AFP.

Au Ghana, dans la région de Tamale, le NDC a lancé sa campagne le 27 juillet dernier, rapportait dans une dépêche l'agence de presse ghanéenne la Ghana News Agency (lien archivé ici). 

Il est ainsi probable que la scène ait été tournée a cette occasion, ou bien au cours de la campagne politique qui a précédé les élections, lors d'un rassemblement des partisans du NDC dans la région de Tamale. En tout cas, rien dans cette vidéo ne fait référence à la France, hormis les couleurs de son drapeau - mais qui sont aussi celles du NPP.

Sur son compte X, le président fraichement élu John Dramani Mahama n'a fait, au 26 décembre 2024, aucune mention d'une potentielle rupture diplomatique avec la France (lien archivé ici). 

Sur le site et les réseaux sociaux de la présidence ghanéenne, aucune déclaration n'a non plus été formulée en ce sens.

Crise économique au Ghana

Les dernières élections au Ghana se sont déroulées dans un contexte économique difficile pour ses habitants. Le pays est confronté à une inflation et un endettement élevés et a dû recourir à un prêt de trois milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI).

La défaite du parti au pouvoir sanctionne ainsi les huit années du président sortant Nana Akufo-Addo, dont le dernier mandat a été marqué par la pire crise économique qu'a traversée le pays depuis des années (lien archivé ici).

Bien que l'inflation ait été ramenée de plus de 50% à environ 23% et que d'autres indicateurs macroéconomiques se soient stabilisés, les difficultés économiques sont restées pour beaucoup un enjeu électoral majeur.

Premier producteur d'or du continent et grand exportateur de cacao, le pays est considéré comme un investisseur privilégié en Afrique, et comme un modèle de stabilité dans une région secouée par de récents coups d'Etat, des défis constitutionnels et des insurrections.

Les deux principaux partis du Ghana ont alterné au pouvoir de manière égale depuis le retour au multipartisme en 1992. 

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