Des photos d'une nouvelle usine de transformation de tomates au Burkina Faso ? C'est trompeur
- Publié le 13 mars 2024 à 14:27
- Lecture : 7 min
- Par : Emilie BERAUD, AFP Afrique
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Depuis la création en septembre 2023 de l'Alliance des Etats du Sahel (AES), le Mali, le Niger et le Burkina Faso revendiquent de concert leur souveraineté en matière économique, diplomatique et sécuritaire.
Le capitaine Traoré, à la tête du Burkina Faso après un coup d'Etat en 2022, met particulièrement l'accent sur "l'autosuffisance alimentaire" de ce pays d'Afrique de l'ouest qu'il dit souhaiter "atteindre" ou "approcher" au cours de "l'année 2024" (lien archivé ici).
Dans ce contexte, des publications relayées plus de 600 fois sur Facebook et près de 500 fois sur X depuis le début du mois de mars prétendent présenter des images de "l'usine de transformation de tomate à Bobo Dioulasso (sic)", capitale économique du Burkina Faso située à l'ouest du pays (lien archivés ici, ici ou encore ici).
Deux de ces photos montrent des tomates rouges, tantôt entassées sur un site industriel, tantôt défilant sur un tapis mécanique.
Le troisième visuel, lui, montre le capitaine Traoré accompagné de sept autres militaires à la démarche assurée.
Principalement publiées par des pages administrées depuis le Mali ou le Burkina Faso, ces images ont généré des centaines de commentaires sur les réseaux sociaux, félicitant - en grande majorité - le dirigeant burkinabè.
Cependant, s'il existe bien un projet de construction d'usine de transformation de tomates à Bobo-Dioulasso, les visuels diffusés sur les réseaux sociaux n'ont rien à voir avec sa mise en œuvre actuelle. Comme le prouvent de récentes images, le chantier est encore loin d'être achevé et l'usine n'est pas encore fonctionnelle.
Un projet d'usine toujours en chantier
Le 25 septembre 2023, l'agence de presse africaine Ecofin publiait une dépêche raportant "le coup d’envoi pour la construction d’une usine de transformation de tomates basée à Bobo-Dioulasso" par Ibrahim Traoré (lien archivé ici).
"Selon les informations relayées par les médias locaux, les travaux devraient s’échelonner sur une période de 6 mois. Elle occupera une superficie de 3 hectares et sera dotée d’une capacité de production de 5 tonnes de concentrés de tomates par heure pour la satisfaction des besoins du marché intérieur et l’exportation", écrivait alors le média.
Cinq mois plus tard, le média burkinabè Burkina24 publiait des images du chantier sur sa chaîne YouTube, à l'occasion de l'inspection du site par "Anderson D. Meda, Directeur de cabinet de la Présidence du Faso, accompagné du Directeur général de l'APEC", l’Agence pour la promotion de l’entrepreneuriat communautaire qui finance le projet depuis Ouagadougou (lien archivé ici).
Sur ces images datant du 25 février 2024, on observe un site en chantier, où des tas de gravas côtoient des fondations de bâtiments en béton et des ouvriers équipés de casques et de gilets.
"Nous avons vu des bâtiments qui sont réalisés avec beaucoup de technicité et l'avancement est plutôt satisfaisant même si nous n'avons pas encore terminé", y déclare Anderson Céleste Médah, directeur de cabinet de la présidence du Burkina Faso.
"Les équipements sont déjà commandés", ajoute le directeur général de l'APEC, spécifiant qu'il espère que "les expéditions" commencent "d'ici trois à quatre semaines pour 45 jours de transport et puis 35 jours d'installation."
Enfin, il estime dans cette même prise de parole que les ouvrages devraient être rendus par les entreprises mandatées "d'ici fin juin".
L'usine de transformation de tomates lancée à Bobo-Dioulasso n'est donc pas encore opérationnelle à l'heure où nous rédigeons cet article.
Des images décontextualisées
L'AFP n'a pas été en mesure de retrouver l'origine de chacune des images diffusées sur les réseaux sociaux.
Cependant, celles qui montrent des tomates dans des usines ont déjà été utilisées, par le passé, pour illustrer des sites industriels se trouvant en-dehors du Burkina Faso.
La photo située en bas à droite de la publication virale, par exemple, figure dans un article du média numérique spécialisé sur l'actualité tchadienne "Toumaï Web Médias" (lien archivé ici). Paru le 14 août 2021, il est intitulé : "Ghana: Inauguration d’une usine de transformation des tomates".
La photo située en haut à droite de la publication virale, elle, a été utilisée à de multiples reprises pour illustrer une usine de transformation de tomates basée au Nigéria.
Elle figure par exemple sur la page d'un blog, "Afrique Economie", éditée le 11 mai 2016 (lien archivé ici). Son auteur fait référence à une usine de transformation de tomates implantée à Kano, dans le nord du Nigeria, appartenant à l'homme d'affaires Aliko Dangote comme expliqué dans cette dépêche de l'AFP (lien archivé ici).
La même photographie apparaît, sous la forme d'un montage, dans un billet du média en ligne "Inside Business" publié le 19 septembre 2020 (lien archivé ici).
Toutefois, d'après le correspondant de l'AFP à Kano, ces images "ne semblent pas montrer l'usine Dangote" basée dans cette ville.
La dernière image, montrant le capitaine burkinabè Traoré aux côtés d'autres militaires, semble avoir été filmée lors de sa visite dans un centre de formation au Burkina Faso.
Sur YouTube, l'AFP a retrouvé une vidéo publiée en juillet 2023 où différents éléments visuels correspondent tout à fait à ceux de l'image diffusée sur les réseaux sociaux : un bâtiment rectangulaire de couleur jaune (encadré en jaune ci-dessous), un abris en tôle dans le prolongement (en bleu), et un homme portant un masque vert sur la bouche et le nez (en rouge) :
"Le Président de la Transition, Capitaine Ibrahim TRAORE visite des unités combattantes en formation", est intitulée la vidéo, mise en ligne le 23 juillet 2023 par le Service d'Information du Gouvernment-Burkina Faso (lien archivé ici).
La même image, recadrée, a été publiée sur Facebook le 26 décembre 2023 (lien archivé ici). Elle n'est donc pas récente et n'as pas été prise sur le site de l'usine de transformation de tomates de Bobo-Dioulasso.
Ce projet a été initié par le gouvernement burkinabè qui fait de la souveraineté son maître mot, tant dans le secteur agroalimentaire que militaire, ou encore sécuritaire.
Selon l'agence Ecofin, ce projet gouvernemental "vise à stimuler la création d’entreprises communautaires spécialisées dans la production, la transformation et la commercialisation des ressources du pays dans différents secteurs d’activités, dont l’agriculture" (lien archivé ici).
La tomate est un fruit au cœur l'alimentation ouest-africaine. Le ministère de l'agriculture burkinabè considère ainsi que le projet d'usine à Bobo-Dioulasso "fait partie des projets prioritaires du Gouvernement de Transition" (lien archivé ici).
