Des personnes attendent de voter au bureau de vote de Katendere à Goma, le 30 décembre 2018, lors des élections générales en République démocratique du Congo. ( AFP / PATRICK MEINHARDT)

RDC : comment discréditer un candidat à la présidentielle ? L'accuser d'être "étranger" sur les réseaux sociaux

"Faux Congolais", "candidat du pays agresseur" : à quelques jours de la présidentielle en RDC, certains candidats d'opposition sont accusés en ligne d'être des "étrangers", une arme redoutable pour les discréditer dans ce pays meurtri par des années de conflits avec ses voisins et où la double nationalité est interdite.

Sur les réseaux sociaux, "tel candidat est zambien, tel candidat est grec, tel candidat a épousé une femme aux origines rwandaises (...) En période électorale, à Kinshasa, la désinformation est plus forte que l'information", regrette Marien Nzikou-Massala, journaliste pour le site de fact-checking Congo Check (archivé ici).

Et au moment où l'est de la République démocratique du Congo connaît un pic de violences avec la résurgence du M23, une rébellion armée soutenue par Kigali, entretenir de supposés liens avec le Rwanda est particulièrement dommageable.

Depuis le début de la campagne, ces offensives numériques visent avant tout les challengers les plus crédibles au président Félix Tshisekedi, au pouvoir depuis 2019 et qui brigue un second mandat le 20 décembre. A l'image du riche homme d'affaires Moïse Katumbi ou du prix Nobel de la paix Denis Mukwege, accusés par des centaines d'internautes d'être des étrangers "ayant acquis la nationalité congolaise", d'avoir le Rwanda pour "nation d'origine", ou encore la Zambie, le Burundi ou l'Ouganda...

"Dans les provinces de l'est, il y a une hostilité des citoyens contre le Rwanda et le Burundi, pour leur implication à répétition dans les guerres", observe Ithiel Batumike, chercheur au centre de recherche politique Ebuteli basé à Kinshasa (lien archivé ici).

"Au Nord-Kivu par exemple, si vous dites qu'un candidat est en connivence avec le Rwanda, ça peut jouer sur sa cote de popularité et lui faire perdre une partie de son électorat", explique le chercheur.

Risque de confrontation militaire

Ces dernières semaines, les tensions se sont d'ailleurs intensifiées : l'ONU en RDC s'est inquiétée le 11 décembre d'un risque accru de "confrontation militaire directe" entre la RDC et le Rwanda.

Sur Facebook, des publications avancent que Moïse Katumbi aurait très récemment rencontré le président rwandais Paul Kagame, vidéo à l'appui (lien archivé ici). Une recherche d'image inversée menée avec l'extension InVID-WeVerify a révélé que ces images datent en réalité d'un forum multilatéral organisé en 2018 par une fondation africaine, non pas d'une fraîche entrevue entre les deux hommes (lien archivé ici).

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Capture d'écran prise sur Facebook le 8 décembre 2023

Il est également reproché à M. Katumbi d'être italien, grec et zambien. Ces accusations s'appuient notamment sur le parcours migratoire singulier de son père : un juif séfarade né à Rhodes, du temps où cette île grecque était sous domination italienne, avant de fuir et s'installer dans le sud-est de la RDC, près de la frontière zambienne (lien archivé ici).

D'autres prétendent que Denis Mukwege, souvent présenté comme le "candidat de l'Occident", est "un Burundais 100% qui a volé la nationalité congolaise". Le prix Nobel de la paix a suivi une partie de ses études au Burundi et en Europe.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 11 décembre 2023

Amplifiées sur les réseaux sociaux, certaines de ces accusations sont aussi portées dans la presse ou par des candidats au cours de leurs meetings de campagne.

"On lit souvent qu'untel est ougandais, burundais, rwandais (...) Les nationalités qu'on colle aux opposants sont celles des pays qui nous agressent. Nous savons que ça a toujours été la stratégie de politiciens pour fragiliser leurs concurrents", explique le politologue Jean-Luc Kong Mbambu, qui se souvient d'allégations similaires lors des précédentes présidentielles.

Selon lui, "le débat électoral congolais est rarement tourné sur les projets des candidats. Il est souvent axé sur les origines de ces derniers".

Nationalité "une et exclusive"

Et pour cause, la nationalité congolaise est une préoccupation majeure en période électorale, dans un pays où elle est "une et exclusive", selon l'article 10 de la Constitution. "Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre", ajoute M. Kong Mbambu.

Cette initiative remonte au "dialogue inter-congolais" de 2003 qui "a permis la réunification du pays après près d'une décennie de guerre", détaille le chercheur Ithiel Batumike. "Il a été décidé de ne pas consacrer la double nationalité, par crainte de l'infiltration de l'armée congolaise par des pays étrangers".

L'un des candidats, Noël Tshiani, a ainsi tenté d'invalider la candidature de M. Katumbi arguant qu'il avait la nationalité italienne, mais la Cour constitutionnelle a rejeté sa requête (lien archivé ici). A défaut de le traiter directement d'étranger, certains adversaires, dont Félix Tshisekedi, le classent parmi les candidats "des étrangers". Certains voudraient également empêcher les Congolais ayant des origines étrangères de participer à la vie politique.

Le même M. Tshiani est le chantre du concept "de père et de mère", et l'initiateur d'une proposition de loi controversée sur la "congolité", devenue serpent de mer en RDC, qui viserait à n'accepter dans les hautes fonctions que les Congolais nés de deux parents congolais. Une manière d'écarter en particulier Moïse Katumbi.

"fractures identitaires"

A l'approche de l'élection, ces rumeurs sur la nationalité et les origines des candidats "sont dangereuses pour l'unité nationale et mettent à mal la cohésion du pays", estime Ithiel Batumike.

"La plupart des candidats qui sont accusés viennent de l'est : il y a un clivage est-ouest", abonde Christian Cirhigiri qui scrute les réseaux sociaux durant cette campagne pour l'ONG Search for Common Ground. Il redoute "une fracture identitaire" au sein des Congolais.

"Ces messages sont dangereux : c'est un esprit séparatiste qui va s'installer chez les gens et se muer en xénophobie", alerte le politologue Jean-Luc Kong Mbambu.

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