Un camion de transport se trouve dans une mine au Niger appartenant à Orano, le 8 mars 2023. ( AFP / OLYMPIA DE MAISMONT)

Non, le coup d'Etat au Niger n'a pas fait exploser les prix de l'uranium

Le coup d'Etat du 26 juillet 2023 au Niger, l'un des principaux exportateurs mondiaux d'uranium, a provoqué une vague de désinformation et accentué le sentiment anti-Français dans la région. Durant le mois de septembre, plusieurs internautes ont affirmé sur les réseaux sociaux que le prix de l'uranium nigérien avait bondi suite à ce changement de régime politique, passant de moins d'un euro le kilo à plus de 200 euros. Mais trompeur : s'il y a bien eu une récente augmentation du coût de ce minerai, elle est considérablement moins élevée et le coup d'Etat au Niger n'en est pas l'unique cause.

"Le Niger augmente le prix de l'uranium." Ou encore, "Le Niger envoie les prix de l'uranium sur la lune". En septembre, plusieurs internautes africains, notamment originaires du Cameroun, du Senegal et du Mali, ont affirmé sur Facebook que le tarif de ce minerai radioactif utilisé dans la production d'énergie nucléaire, avait explosé suite au coup d'Etat au Niger.

L'un des premiers à relayer cette affirmation, la page Facebook camerounaise "Les agriculteurs d'Afrique", assure le 2 septembre qu'un kilo d'uranium nigérien vaut désormais 137.000 francs CFA, soit plus de 200 euros, contre 4.000 (environ 6 euros) auparavant. Ce compte a déjà partagé des affirmations vérifiées par l'AFP, notamment cette infox sur les mutilations des nez des statues égyptiennes.

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Capture d'écran réalisée sur Facebook le 20 octobre 2023

Au gré des partages et republications, l'affirmation paraît quelques jours plus tard encore plus impressionnante, des internautes assurant cette fois que le prix avant cette spectaculaire hausse était de 80 centimes le kilo d'uranium.

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Capture d'écran réalisée sur Facebook le 20 octobre 2023

Ils s'appuient pour cela sur un article du média nigérian "The Spectacles" publié le 3 septembre et depuis supprimé. Toutefois, son adresse URL est toujours visible : "Niger increases price of uranium from e0,8 kg to e200 kg" ("Le Niger augmente le prix de l'uranium de 0,8 €/kg à 200 €/kg")

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Capture d'écran réalisée sur le site "The Spectacles" le 15 octobre 2023

Si les tarifs annoncés varient, toutes ces publications avancent la même explication : ce bond est dû au coup d'Etat au Niger. En effet, selon ces internautes, le renversement de Mohamed Bazoum par des militaires emmenés par le chef de la Garde présidentielle Abdourahamane Tchiani permet désormais au Niger de fixer librement ses prix de vente d'uranium, auparavant imposés par la France assurent-ils. D'ailleurs, des photos d'Emmanuel Macron accompagnent l'essentiel de ces publications.

Mais ces affirmations sont trompeuses.

Tarif négocie "d'Etat à Etat"

L'uranium est un minerai utilisé dans la production d'énergie nucléaire. Le Niger en est un producteur clé, avec des réserves estimées par l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à plus de 468.000 tonnes (lien archivé ici). Deuxième fournisseur de l'Union européenne, selon l'Agence d'approvisionnement d'Euratom (lien archivé ici), le pays contribue à hauteur d'environ 15% des importations françaises selon plusieurs experts interrogés par TF1 (lien archivé ici) et Libération (lien archivé ici).

En 2020, l'essentiel de ses exportations (76%) ont été à destination de la France, rapporte l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE; lien archivé ici). Ces 2.200 tonnes d'uranium ont été principalement achetées par Orano (ex-Areva), entreprise détenue par l'Etat français.

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Extrait du rapport 2020 de l'ITIE

L'entreprise spécialisée dans le nucléaire possède, en coentreprise avec l'Etat du Niger, deux des plus grosses mines nigériennes d'uranium. En 2020, 2.992 tonnes d'uranium extraits de ces deux sites de production ont été vendues, rapportaient en 2022 les autorités nigériennes sur leur site internet. Depuis la prise du pouvoir par les militaires en juillet, ce site a disparu (archive toutefois disponible ici). Un chiffre en phase avec les données de l'ITIE, qui comptabilise de son côté 2.904,74 tonnes d'uranium cédées sur la période.

Selon les autorités, la vente de cet uranium a rapporté au Niger plus de 151 milliards de francs CFA (environ 230 millions d'euros), soit une recette de plus de 50.000 francs CFA/kg. Un prix quasi stable entre 2016 et 2020, très loin de celui annoncé par les publications trompeuses.

Cela représente autour de 40 dollars/livre, l'unité habituelle de tarification pour l'uranium. Selon les données de Cameco (lien archivé ici), l'un des principaux fournisseurs d'uranium au monde, il s'agit d'un prix de vente un peu supérieur aux moyennes mondiales relevées entre 2016 et 2020.

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Capture d'écran réalisée sur Comeco le 20 octobre 2023

"L’uranium ne se négocie pas sur un marché libre comme les autres matières premières. Les acheteurs et les vendeurs négocient les contrats en privé", souligne sur son site internet Cameco. Le tarif est "négocié d'Etat à Etat", abondent les autorités nigériennes.

Ces négociations peuvent mener à certaines tensions entre acheteurs et vendeurs, comme en 2013 lorsque l'Etat nigérien souhaitait faire payer davantage Areva (devenu Orano aujourd'hui) pour son uranium, déplorant "une ressource qui ne rapporte pas au Niger" (lien archivé ici). Après dix-huit mois de bras de fer, les deux acteurs s'étaient entendus sur un compromis, comme rapporté par Le Monde (lien archivé ici).

Ces dernières années, Orano achetait l'uranium nigérien pour environ 45.000 francs CFA le kilo, soit 33 dollars/livre, selon les données de l'ITIE. De leur côté, les acquéreurs espagnol, allemand et japonais déboursaient en moyenne 60.000 francs CFA par kilo.

Contactée à ce sujet, Orano n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

Plus haut depuis 12 ans

Selon TradeTech, une plateforme d'études de marché qui suit les prix mondiaux de l'uranium depuis mars 2011, le "spot price" (c'est-à-dire le prix payé comptant pour livraison immédiate) de l'uranium a atteint à la mi-septembre un plus haut niveau depuis 12 ans (lien archivé ici), lorsqu'il s'est vendu à 65,50 dollars la livre. Ce tarif a encore grimpé pour atteindre 71,58 dollars à la fin du mois (archivé ici).

Mais le coup d'Etat au Niger n'en est pas la seule cause, contrairement à ce qu'affirment certains internautes.

"L'attente d'une demande plus élevée de la part de l'industrie nucléaire mondiale, combinée aux signaux selon lesquels le secteur de la production d'uranium pourrait se contracter davantage en raison des récents événements géopolitiques, ainsi que de certains objectifs manqués par les producteurs existants et émergents, ont conduit les vendeurs d'uranium au comptant à ne pas réduire leurs prix d'offre, les acheteurs étant disposés à payer des prix plus élevés pour obtenir du matériel", a déclaré à l'AFP Treva Klingbiel, présidente de TradeTech.

Depuis 1988, date à laquelle remontent les premières données relevées par Cameco, le prix moyen de l'uranium n'a jamais dépassé 136 dollars/livre pour le "spot price" et 95 dollars/livre pour les contrats à terme.

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Capture d'écran réalisée sur Comeco le 20 octobre 2023

Tensions diplomatiques

Les relations entre la France et le Niger se sont largement dégradées depuis le 26 juillet, les militaires au pouvoir exigeant fin août que l'ambassadeur de France quitte le pays. Au terme d'un long bras de fer entre les deux pays, il est finalement rentré à Paris le 27 septembre (lien archivé ici).

Quant aux troupes françaises encore déployées dans le pays dans la cadre de la lutte anti-jihadiste au Sahel, leur départ "d'ici la fin de l'année" (lien archivé ici) a été annoncé par Emmanuel Macron, répondant aux demandes des autorités nigériennes.

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Macron announced on September 24, 2023 that France would withdraw its military contingent from Niger in the coming months ( AFP / ALAIN JOCARD)

L'armée française doit évacuer quelque 1.400 hommes ainsi que du matériels en majeure partie par voie terrestre vers le Tchad puis probablement le Cameroun, avant leur rapatriement en France. Un parcours de plus de 3.000 km dont une partie qui traverse des zones hostiles où des groupes jihadistes sont actifs par endroits.

Un premier convoi est arrivé au Tchad le 19 octobre (lien archivé ici) et l'objectif "d'un départ au 31 décembre sera tenu" selon le général Eric Ozanne, commandant des forces françaises au Sahel.

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