
Non, cette infusion n’est pas un antibiotique contre la variole
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 18 avril 2023 à 16:09
- Lecture : 5 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
"Traitement de la variole. Ci-dessous zansoukpè-man, un super antibiotique" annonce la publication. Pour guérir de la maladie, son auteur propose la posologie suivante : "tructurer pour se laver et à prendre sous forme de tisane". L’auteur de la publication assure une "guérison rapide".

Quelle est donc cette plante visible sur l’image que l’auteur appelle Zansoukpè man ? Une recherche par image inversée via Google nous renvoie à plusieurs résultats de plantes ressemblant à celle que nous cherchons à identifier, mais avec des noms différents. Cependant, le premier résultat nous suggère une plante appelée Hyptis suaveolens.
Pour vérifier si le Zansoukpè man correspond à l'Hyptis suaveolens, nous tentons une deuxième recherche à l'aide du nom qui lui est donné par l’auteur de la publication. En tapant "zansoukpè man" dans la barre de recherche Google, un résultat en particulier retient notre attention. Il s’agit d’un article scientifique publié en juillet 2021 (lien archivé) par l’International Journal of Biodiversity and Conservation. L’article signé par trois chercheurs de l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin (Gorgias Aïkpon, Kourouma Koura, Jean Cossi Ganglo) indique que le nom scientifique du Zansoukpè man est Mesosphaerum suaveolens, anciennement appelé Hyptis suaveolens.
"M. suaveolens communément appelé 'Zansoukpè man' en Fongbé, une langue locale du Bénin, est reconnu par les personnes interrogées comme une espèce exotique envahissante causant d’énormes dégâts. Les personnes interrogées sont unanimes pour dire que M. suaveolens n'est pas consommé par les ruminants et que sa forte présence et son expansion réduisent considérablement les ressources fourragères", indique l’étude, qui s'intéresse aux risques que représente la prolifération de cette plante pour la biodiversité au Bénin.
Mesosphaerum suaveolens a fait l’objet de différentes recherches dans le domaine médical, la sylviculture et la botanique (1, 2, 3). Cependant, selon Yannick Simonin, virologue et enseignant-chercheur membre de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm, lien archivé) à l’université de Montpellier (France), rien n'indique que cette plante possède les propriétés décrites pour soigner la variole.
Aucune efficacité prouvée contre des infections virales
"Il n’y a actuellement aucune donnée dans la littérature scientifique suggérant que les composés actifs présent dans Mesosphaerum suaveolens puissent avoir une action contre la transmission ou les symptômes de la variole ou du mpox (anciennement appelé variole du singe). Il existe des publications scientifiques montrant que cette plante pourrait avoir des effets antibiotiques ou de lutte contre les infections à champignon, mais rien de connu sur une efficacité contre des infections virales", indique le spécialiste.
Le chercheur Laurens Liesenborghs de l’Institut de médecine tropicale (lien archivé) d'Anvers (Belgique) confirme que "boire une tisane de Mesosphaerum suaveolens en vue de guérir de la variole n'a été démontré nulle part". En outre, la maladie a été éradiquée depuis 1980, rappelle-t-il.
"Depuis l'annonce officielle de l'éradication de la variole, aucun cas de variole naturelle n'a été décrit" (lien archivé), ajoute pour sa part la Dr Esther Künzli, de l’Institut Tropical Suisse et Institut de Santé publique de Bâle (Swiss TPH, lien archivé).

La variole a été officiellement été éradiquée en 1980 grâce à la vaccination massive des populations, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). "La maladie a été éradiquée au terme d’une opération de 10 ans menée par l’Organisation mondiale de la Santé et à laquelle ont participé des milliers d’agents de santé dans le monde pour administrer un demi-milliard de doses de vaccin antivariolique", explique l'OMS sur son site internet (lien archivé). Cette éradication a marqué "la fin d’une maladie qui avait dévasté l’humanité pendant au moins 3.000 ans, faisant 300 millions de morts rien qu’au XXe siècle".
La publication virale qui vante les mérites de la tisane de Mesosphaerum suaveolens, initialement publiée le 26 juin 2022, a refait surface sur la toile ces derniers mois, dans un contexte bien particulier: une flambée de variole du singe a été observée depuis mai 2022 et constitue selon l'OMS une urgence de santé publique de portée mondiale (lien archivé). La propagation de ce virus qui peut provoquer de la fièvre et des lésions douloureuses sur le visage, les mains et les pieds suscite des inquiétudes sur le continent africain, où il est présent depuis des décennies. Or, de nombreuses informations et rumeurs relatives à l'épidémie actuelle circulent sur les réseaux sociaux et pourraient créer la confusion entre les deux maladies.
Potentielle confusion avec le mpox
"Le mpox (anciennement variole du singe) est une maladie infectieuse qui est causée par un virus transmis initialement à l’Homme par des animaux infectés - ce qu’on appelle une zoonose. Les réservoirs principaux étant très probablement des rongeurs. L’appellation variole du singe était fort discutable car il ne s’agit pas là d’une maladie spécifiquement inféodée aux singes, d’où son changement récent d’appellation en mpox", explique le virologue Yannick Simonin.
Il ajoute que le virus du mpox "est différent de celui responsable de la variole qu’on appelait petite vérole (même si ces deux virus appartiennent à la même famille de virus). Dans les deux cas, les virus se transmettent par contact rapproché et prolongé entre personnes, via les sécrétions, les lésions et les matières ou objets contaminés".
Le chercheur Laurens Liesenborghs, de l’Institut de médecine tropicale d'Anvers, souligne également que le virus mpox "produit (chez l’homme) une maladie similaire à la variole, mais souvent beaucoup plus bénigne. "La mortalité est beaucoup plus faible: moins de 1 % lors de l'épidémie mondiale de 2022", conclut-il. Ce faible taux de mortalité n’a pas empêché l’Organisation mondiale de la santé et ses partenaires a resté vigilent pour éviter une flambée (lien archivé) de grande ampleur, surtout en Afrique centrale où le taux de mortalité a pu atteindre 10%.
Mais les experts interrogés restent formels sur le fait qu'en l'état des connaissances scientifiques, la tisane à base de Mesosphaerum suaveolens n'est efficace ni contre la variole (ou petite vérole), ni contre le mpox (ou variole du singe).