Cette vidéo ne montre pas l’expulsion de ressortissants tunisiens en Guinée

Des publications partagées sur Facebook et TikTok sont censées montrer l’expulsion de ressortissants tunisiens de la Guinée. Il s’agirait d’une mesure de réciprocité après la vive polémique déclenchée par les propos incendiaires du président tunisien Kais Saied contre les immigrés subsahariens. Attention, ces images sont décontextualisées : elles illustrent en fait l’arrestation de présumés barons de la drogue en Côte d’Ivoire en 2022.

"L’expulsion des tunisiens en Guinée par le gouvernement Guinéen", voici la description qui accompagneune vidéode 2 minutes et demi publiée sur Facebook le 5 mars. Visionnée plus de 150.000 fois, cette vidéo montre une opération de police. Des hommes en uniforme font sortir menottes aux poings des individus d’une villa avant de les embarquer dans un véhicule blindé entouré de pick-up et de motards.

Sur les images apparaissent également un drapeau tunisien et l’inscription suivante : "bravo au gouvernement guinéen, rapatriement immédiat de tous les tunisiens sur le territoire".

Le logo du réseau social TikTok, visible sur la vidéo, suggère qu’elle a pu être publiée d'abord sur cette plateforme. En tapant "gouvernement guinéen" dans la barre de recherche du réseau social, nous retrouvons la même séquence partagée par plusieurs profils et visionnée sur le compte "afrique_libre" plus de 650.000 fois.

Cette opération de police s'est-elle vraiment déroulée en Guinée ? S’agit-il d’une mesure de réciprocité après le discours du président tunisien et les agressions racistes qui ont suivi?

Le 21 février, Kais Saied avait affirmé que la présence en Tunisie de "hordes" d'immigrés clandestins provenant d'Afrique subsaharienne était source de "violence et de crimes" et relevait d'une "entreprise criminelle" visant à "changer la composition démographique" du pays.

Ces déclarations incendiaires ont semé un vent de panique parmi les migrants subsahariens en Tunisie, qui font depuis état d'une recrudescence des agressions les visant. Originaires de Guinée, du Mali ou de Côte d'Ivoire, ils se sont précipités par dizaines vers leurs ambassades pour être rapatriés.

Les premiers vols de rapatriement ont eu lieu le 4 mars, près de 300 Maliens et Ivoiriens ont rejoint leurs pays.

Cependant, la vidéo partagée sur Facebook et TikTok n’est pas l’illustration d’une mesure de réciprocité appliquée par le gouvernement guinéen. La Guinée n’a fait aucune déclaration officielle indiquant une volonté d’appliquer des mesures de rétorsion envers les Tunisiens. Aucune expulsion de ressortissants tunisiens n’a jusque-là été signalée dans le pays.

En revanche, une recherche par image inversée via l’outil InVID-Weverify nous permet de constater que cette vidéo a été postée sur les réseaux sociaux bien avant février 2023.

Les résultats suggérés par le moteur de recherche Google nous permettent de retrouver la même vidéo sur plusieurs articles de médias ivoiriens (1, 2) datant de 2022. Ces articles ne parlent pas de la Guinée : ils relatent une opération anti-drogue de la police ivoirienne.

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Capture d’écran Facebook de la vidéo censée montrer l’expulsion de Tunisiens en Guinée, réalisée le 15 mars 2023
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Capture d’écran Facebook de la vidéo d'origine montrant l'arrestation en Côte d'Ivoire d'un présumé baron de la drogue, réalisée le 15 mars 2023

 

 

En effet, dans la vidéo, il est possible de voir le sigle "GMI" sur l'un des véhicules, ce qui correspond au Groupement Mobile d’Intervention de police ivoirienne. Un autre emblème, représentant une tête de rhinocéros, correspond également à celui de la Brigade anti-émeute (BAE) de la police ivoirienne. A 1 minute 14 secondes, on entend la personne qui donne des ordres dire : "il faut prendre le véhicule en entier avec les éléments de la BAE".

Sur les images, on peut aussi lire sur les chasubles noires que portent certains hommes les inscriptions "DPSD" et "police anti-drogue". La DPSD est la Police des Stupéfiants et des Drogues en Côte d’Ivoire.

Contactée par l'AFP, la Direction Générale de la Police Nationale de Côte d'Ivoire (DGPN) n'avait pas réagi dans l'immédiat mais une source policière ivoirienne a confirmé que l'opération montrée sur les images virales avait bien eu lieu en Côte d'Ivoire.

Grâce à un communiqué signé par le Général Vagondo Diomandé, ministre ivoirien de la Sécurité, nous avont pu en savoir un peu plus sur cette opération de police qui s'est déroulée les 15 et 21 avril 2022 dans les villes d’Abidjan et de San Pédro. Plus de deux tonnes de cocaïne ont été saisies, pour une valeur marchande de près de 63 millions d’euros. Neuf personnes, dont des Ivoiriens et des ressortissants étrangers, ont été interpellées lors de ce coup de filet.

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Capture d'écran Google Search du 15 mars 2023

Vague de condamnations

Les déclarations du président ont provoqué un tollé en Tunisie et dans plusieurs pays africains, suscitant une vague de condamnations par des ONG et l’Union africaine (UA). Le président de la commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a condamné "fermement les déclarations choquantes faites par les autorités tunisiennes contre des compatriotes africains, qui vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de notre organisation et de nos principes fondateurs".

Même son de cloche chez la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) qui a condamné "fermement les propos racistes du président tunisien".

"Appeler à la haine contre des gens qui subissent déjà des discriminations, des violences et des privations est particulièrement le summum de la brutalité (...). J'en appelle particulièrement à la responsabilité des dirigeants tunisiens, quel héritage laisserez-vous dans l'Histoire ?" a déclaré la présidente de la FIDH Alice Mogwe dans un communiqué.

Les propos de Kais Saied coûtent aussi cher à la Tunisie. La Banque mondiale a décidé le 6 mars de "mettre en pause" son cadre de partenariat avec la Tunisie "et de retirer du calendrier la revue du conseil d'administration" de la Banque mondiale, prévue le 21 mars et "reportée jusqu'à nouvel ordre".

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