La France accorde-t-elle vraiment moins d'aide aux agriculteurs bio qu'aux autres ?

Candidat à la primaire écologiste, Yannick Jadot a critiqué le système d'allocation des aides agricoles en affirmant que la France était le seul pays européen à accorder plus de subventions à un agriculteur en conventionnel qu'en bio. Contestée par le gouvernement et la FNSEA, cette affirmation est toutefois, en partie, corroborée par des chiffres de la Commission européenne.

Le bio se fait de plus en plus de place dans nos assiettes mais aussi, à l'approche de la présidentielle, dans le discours politique. Candidat à la primaire écologiste, Yannick Jadot s'est récemment emparé du sujet pour critiquer les choix de l'exécutif en assurant que la filière bio en France était désavantagée par le système d'aides publiques.

"La France est le seul pays en Europe où un éleveur en conventionnel ou un agriculteur en conventionnel touche plus d'aides publiques qu'un agriculteur bio", a-t-il déclaré le 8 septembre sur LCI lors du débat de la primaire des écologistes, alors que sont conclues cet été les négociations européennes pour "verdir" la Politique agricole commune (PAC).

Cette affirmation est-elle toutefois exacte ? Certains chiffres de la Commission européenne et des experts la corroborent en partie mais le gouvernement et la FNSEA la réfutent. On essaye d'y voir (un peu) plus clair en parcourant les méandres d'un dossier ultra-technique mais crucial pour l'environnement.

Au ministère de l'Agriculture, le verdict sur les déclarations de Yannick Jadot est sans appel. "C’est tout simplement faux", tranche une représentante du cabinet du ministre, qui ne souhaite pas être identifiée. "Vous avez un socle commun d'aide qui est valable pour tous les agriculteurs quel que soit leur mode d'agriculture. Aucune aide n'est spécifique au conventionnel et n'exclut un agriculteur au motif qu'il serait engagé en bio", détaille-t-elle.

Aux termes de la très décriée PAC dont elle est la première bénéficiaire, la France redistribue chaque année quelque 9 milliards d'euros d'aide répartis en deux piliers. Le premier d'entre eux, qui pèse 6,8 milliards d'euros, englobe les aides directes versées aux agriculteurs en fonction principalement de la taille de leur exploitation.

Le second pilier recouvre, lui, entres autres mécanismes de soutien "au développement rural", les aides à la conversion --d'un montant total de 250 millions d'euros-- versées pendant cinq ans à un agriculteur soucieux de passer au bio (culture sans intrants chimiques, techniques naturelles de traitement des sols...).

Le raisonnement du ministère est donc simple: tous les agriculteurs ont droit aux aides du premier pilier, ceux travaillant en bio sont en plus éligibles au deuxième pilier, ils perçoivent donc mécaniquement plus d'aide que leurs homologues. CQFD.

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( AFP / JEAN-FRANCOIS MONIER)

Principal syndicat d'exploitants, la FNSEA est sur la même ligne et évoque même une "fake news". "Globalement, les agriculteurs bio touchent beaucoup plus d'aide qu'en conventionnel ce qui est logique et ce qui est heureux puisqu'il y a des aides spécifiques au secteur", affirme son vice-président Etienne Gangneron, lui-même exploitant en bio. "Le juge de paix, c'est que la France possède aujourd'hui la plus grande surface agricole bio en Europe. Ca veut dire que le système d'aides ciblées sur le bio fonctionne". Avec 9,5% de sa surface agricole utile dédiée au bio, la France se situe au-dessus de la moyenne européenne mais en dessous de pays comme l'Autriche ou l'Italie.

Un graphique, qui a ressurgi sur Twitter dans la foulée des déclarations de M. Jadot, est censé établir cet état de fait. Fondée sur des données de 2013, ce document, reproduit dans une étude de l'Insee, montre effectivement que le montant moyen des subventions est supérieur chez les agriculteurs bio, en maraîchage, viticulture ou en élevage bovin.

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Fin de l'histoire ? Pas vraiment. Tout d'abord parce que ce graphique n'est qu'un reflet imparfait de la réalité. Il concerne, d'une part, les seules exploitations dont le chiffre d'affaires annuel dépasse 76.500 euros -- excluant de fait de les petites exploitations qu'on retrouve en nombre dans le bio. D'autres part, il a été établi au moment où l'Etat participait au financement de l'aide qui était versée pour le maintien en bio, ce qu'il a cessé de faire en 2017.

D'autres chiffres avancés par l'équipe de Jadot semblent par ailleurs corroborer -- en partie -- les déclarations de l'aspirant à la candidature écologiste.

Issus de rapports de la Commission européenne de 2013 et 2019, ils montrent ainsi, que parmi six Etats membres de l'UE passés à la loupe, la France est le seul pays avec la Pologne où le montant moyen de subventions par unité de travail agricole (qui équivaut au travail d'une personne à temps plein pendant une année) est beaucoup plus important en conventionnel (22.681 euros) qu'en bio (12.629 euros) sur la période 2007-2009 et pour les exploitations de grandes cultures (oléagineux, céréales...).

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Capture d'écran du rapport de la Commission européenne.

"La part des subventions dans la valeur ajoutée nette agricole est plus élevée dans les exploitations bio dans l'ensemble des pays (étudiés) à l'exception de la France", indique par ailleurs ce document de la Commission.

Le rapport de 2019 enfonce le clou: la France est le seul des six pays étudiés où les subventions par unité de travail agricole sont, en moyenne, plus fortes en conventionnel qu'en bio sur la période 2012-2016, dans les exploitations de grandes cultures.

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On peut certes dire que M. Jadot force un peu le trait en affirmant que la France serait isolée au sein de l'ensemble de l'Union européenne puisque ces données ne portent que sur six pays. Mais sur le fond, le débat semble ouvert.

Professeur à AgroParisTech, Harold Levrel défend la thèse d'un bio désavantagé en France par un système de subventions favorisant les grandes exploitations.

"En France, plus on est petit, moins on touche d'argent et comme le bio est spécialisé dans des petites surfaces et en plus dans des secteurs qui sont structurellement peu subventionnés comme le maraîchage ou la viticulture, ces agriculteurs sont les perdants de la PAC. Beaucoup d'entre eux sont trop petits pour prétendre même aux aides", assure cet expert, également chercheur au Cired (Centre international de recherche sur l'environnement et le développement).

Cette différence de taille est attestée par le rapport de l'Insee de 2017 déjà mentionné : dans la viticulture, les exploitations bio occupent ainsi en moyenne 20% de surfaces de moins que son équivalent en conventionnel et une exploitation maraîchère bio est de 10 hectares contre 30 hectares en conventionnel.

"Mécaniquement, ramené à l’échelle des exploitations agricoles françaises, les agriculteurs bio touchent moins de subventions", conclut M. Levrel, citant notamment les grandes cultures où le bio ne pèse que 5% mais où les subventions sont massives et pèsent en moyenne 58% de l'excédent brut d'exploitation.

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Part du bio dans la surface agricole utile (source: gouvernement)

Sur le papier, les aides bénéficieraient davantage au bio mais pas en pratique. C'est aussi la thèse de Benoît Biteau, eurodéputé écologiste proche de M. Jadot et lui-même exploitant agricole.

"Si un agriculteur aujourd’hui passe en bio, il aura peut-être des aides plus favorables au départ mais ça ne dit qu'une partie de l'histoire. Les agriculteurs qui se sont tournés il y a plus longtemps vers le bio ont des surfaces plus réduites et leur référence historique (qui sert au calcul des aides du premier pilier, ndlr) sont plus faibles. Ils touchent donc moins d'aide et aucun mécanisme n'est venu corriger ce delta", assure-t-il.

D'après ces experts comme selon la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnabe), des pays comme l'Allemagne ont déjà modifié l'allocation des aides de la PAC au niveau national pour reverdir leur agriculture et s'assurer que les exploitants en bio bénéficient d'incitations autres que celle de pouvoir vendre leurs produits plus cher aux consommateurs.

La future PAC, qui entrera en vigueur en janvier 2023, devrait acter ce changement de braquet en France: l'enveloppe consacrée au bio augmentera de 30% et 25% des aides du premier pilier seront désormais conditionnées au respect de pratiques agro-écologiques, assure-t-on au cabinet du ministre de l'Agriculture.

Face à la complexité du dossier, il est donc difficile de trancher définitivement si Yannick Jadot a dit vrai ou s'il a pris quelques libertés avec la vérité.

"Il y a des gros trous dans la raquette (sur les données disponibles, ndlr) et il y a clairement un besoin de faire des analyses objectivées sur ce sujet, conclut Laure Verdeau, la patronne de l'Agence du bio. Mais pour le moment, il n'y a pas de référentiel commun en Europe".

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