
Non, cette photo ne montre pas "l'avenue du Tourisme" à Kinshasa "à l'horizon 2023"
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 14 décembre 2021 à 18:19
- Lecture : 7 min
- Par : Marin LEFEVRE
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Une route de goudron immaculée serpente le long des flots azurés. Quelques voitures circulent le long de cet axe bordé de l'autre côté par des étendues d'herbe verdoyantes et des collines boisées.
Cette photo montrerait l'"avenue du Tourisme" située au nord de la capitale congolaise Kinshasa, le long du fleuve Congo, "à l'horizon 2023", selon plusieurs internautes qui la font circuler sur Facebook en Afrique centrale.

Ces publications ont été partagées plus de 460 fois depuis le 7 décembre sur Facebook, principalement en République démocratique du Congo (1, 2, 3, 4, 5...).
Une corniche à Tanger, au Maroc
Une recherche d'images inversées grâce à l'application Google Lens permet de retrouver une photo du même lieu, aux couleurs similaires, prise à peu près du même angle, dans une annonce de la plateforme de location Airbnb pour un appartement à Tanger (Maroc). Dans la partie supérieur de la photo, au centre, figure un copyright: "Gharbaoui Photography".


En tapant ces mots sur Facebook, on tombe sur la page d'un photographe du même nom. Contacté par l'AFP le 9 décembre afin de vérifier s'il s'agit bien d'une route marocaine, Abdeslam Gharbaoui, l'administrateur de cette page, explique être également l'auteur de la prise de vue (légèrement différente de la photo repérée grâce à Google Lens) qui circule sur les réseaux sociaux en République démocratique du Congo.
"Il s'agit de ma photo", a-t-il déclaré, précisant avoir pris "beaucoup" de photos de ce paysage où l'on aperçoit "la corniche Merkala", qui longe le détroit de Gibraltar au nord de Tanger.
Il a notamment envoyé à l'AFP une publication Instagram de la page @jaime.tanger dans lequel la photo que nous vérifions apparaît et où il est crédité en tant que photographe pour appuyer ses dires. On aperçoit aussi son copyright dans la partie supérieur de la photo.

Sans se souvenir de la date exacte de ce cliché, il a assuré que cette image datait d'il y a "plus de quatre ans".
Par ailleurs, plusieurs photos de cette corniche sont disponibles sur Google Maps: en comparant l'une d'entre elles avec la photo virale, les similarités sont frappantes. La forme et l'implantation des lampadaires (flèches rouges), les motifs végétaux le long de la route (flèches bleues), la présence des deux collines (flèches roses) ou la bordure blanche et noire qui longe le trottoir (flèches vertes): tout tend à démontrer qu'il s'agit du même endroit.


La confusion entre cette corniche de Tanger et l'avenue congolaise mentionnée par les publications virales, qui apparaît sous le nom d'avenue "des Touristes" sur Google Maps, peut apparaître plausible: l'avenue des Touristes serpente d'une manière similaire le long d'une étendue d'eau, le fleuve Congo.
Mais le relief le long de ces deux routes n'est pas comparable: en choisissant de faire apparaître le calque qui met en avant la topographie sur Google Maps, on s'aperçoit que la photo virale ne peut pas montrer l'avenue des Touristes.
Les deux virages consécutifs qui y apparaissent contournent en effet deux petites collines très visibles lorsqu'on applique le calque topographique à la corniche Merkala (flèches rouges), tandis que le seul relief qui apparaît le long de l'avenue des Touristes se situe sur une ligne droite (flèche bleue)


Des comptes pro-Tshisekedi
Plusieurs des pages qui partagent cette image sur Facebook ont pour but affiché de soutenir et de promouvoir l'action de l'actuel président congolais Félix Tshisekedi, comme Les travaux de Fatshi en RDC , Fatshi Progrès ou encore Fatshi ne tombera jamais (qui avait supprimé sa publication au 13 décembre).
Dans ces différents noms de pages, "Fatshi" (parfois rallongé en "Fatshi béton") fait référence au sobriquet du chef de l'Etat, visant à la fois à rappeler ses ambitieux projets urbains de début de mandat et à suggérer l'image d'un président "dur", comme le souligne le Groupe d'étude sur le Congo sur son site.

Fin décembre 2020, en pleine offensive politique, le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, avait inauguré plusieurs ouvrages urbains à Kinshasa, symbole de sa politique de grands travaux minée par la corruption, dans une capitale plus que jamais engorgée par les embouteillages.
Après avoir sifflé la fin de la coalition avec son prédécesseur Joseph Kabila, "Fatshi béton" avait ouvert à la circulation automobile quatre ponts routiers supposés faciliter le trafic dans la mégapole de plus de 10 millions d’habitants, sur fond de bouchons aggravés à l'époque par un couvre-feu.
Unanimement connus en RDC sous le nom de "sauts de mouton", ces échangeurs routiers qui enjambent des carrefours très fréquentés étaient la vitrine du "programme d’urgence des 100 jours" lancés par le président de la République peu après son arrivée au pouvoir début 2019.
Des rumeurs en vue de la prochaine présidentielle
Ambitieux et alléchant de prime abord, l'hypothétique projet de rénovation de l'avenue des Touristes mis en avant par ces internautes pro-Tshisekedi ne semble pourtant exister, à ce jour, que dans leur esprit. L'AFP n'a pas été en mesure de confirmer l'existence d'une telle ambition, aucun document ou article consultable en ligne ne permettant à ce jour d'affirmer que cette rénovation fasse partie des projets du président congolais.
En tout cas, la date mentionnée par les internautes n'a pas été choisie au hasard: fin 2023 se déroulera la prochaine élection présidentielle en République démocratique du Congo. Dans cette perspective, fin octobre, l’Assemblée nationale congolaise a investi Denis Kadima comme président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni).
Ce choix a été confirmé par le président Félix Tshisekedi, mais contesté par l'Eglise catholique et les protestants qui représentent, selon l'archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, plus de 90% de la population de la RDC, et reprochent à M. Kadima sa proximité avec le chef de l'Etat, lequel a déjà exprimé son intention de se représenter.