
Non, l'ex-président burkinabè Blaise Compaoré n'a pas été évacué au Maroc pour des raisons de santé
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 02 septembre 2021 à 17:22
- Lecture : 7 min
- Par : Marin LEFEVRE, Sadia MANDJO
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Assis sur un canapé rouge, Blaise Compaoré fixe l'objectif. Son visage est inhabituellement creusé et ses yeux cernés. Cette photo montre "Blaise Compaoré en traitement au Maroc", affirment les internautes qui la partagent. Selon eux, il aurait été évacué vers le royaume chérifien après avoir essuyé un refus de visa auprès de l'ambassade de France en Côte d'Ivoire, où il vit depuis la chute de son régime au Burkina Faso en 2014.

Cette rumeur, accompagnée de la photo d'un Blaise Compaoré visiblement fatigué, a été partagée près de 3.000 fois depuis le 25 août (1, 2, 3, 4, 5...). Au moins deux médias africains ont également relayé cette rumeur (1, 2).
L'ex-président en bonne santé et toujours en Côte d'Ivoire
Pourtant, celle-ci est infondée. Blaise Compaoré "va bien" et se trouve "toujours en Côte d'Ivoire", a déclaré à l'AFP l'ex-ministre des Sports et proche collaborateur de l'ex-chef d'Etat, René Emile Kaboré.
Ce dernier assure que Blaise Compaoré n'a formulé aucune demande de visa auprès des pays cités dans les publications virales. "La France n'a pas pu refuser un visa au président Compaoré pour la simple et bonne raison qu'il n'a pas fait de demande de visa", balaye René Emile Kaboré. Idem pour le Maroc, auquel il n'a pas "adressé de demande".
De son côté, le Quai d'Orsay a confirmé à l'AFP ne pas "avoir trace d'une telle demande" émanant de l'ex-président burkinabè. Le ministère des Affaires étrangères marocain n'a quant à lui "pas d'information" au sujet d'une éventuelle hospitalisation de Blaise Compaoré au Maroc.
Photo retouchée
Pour appuyer leurs dires, les internautes qui partagent cette rumeur l'illustrent avec une photo pixellisée de l'homme politique burkinabè, 70 ans, les traits tirés et le visage excessivement ridé. Dans les commentaires, certains s'interrogent sur l'authenticité de ce portrait et dénoncent "une photo travaillée", un "montage" qui vise à vieillir artificiellement l'ex-locataire de Kosyam.

Un autre internaute a même posté la photo, supposément non retouchée, en réponse à l'une des publications virales que nous vérifions. Les deux images sont strictement identiques, à cela près que Blaise Compaoré semble sensiblement moins âgé.


Une recherche d'images inversées sur différents moteurs de recherche n'a pas permis à l'AFP de savoir laquelle des deux photos correspond à l’apparence physique actuelle de Blaise Compaoré.
Cependant, en feuilletant la presse nationale ivoirienne, on remarque que le journal gouvernemental Fraternité Matin a publié un article dans son édition du 27 août démentant les rumeurs sur la santé de l’ancien président burkinabè, dans lequel apparaît la photo.
Intitulé "Blaise Compaoré en bonne santé sur les bords de la lagune Ebrié", il contient trois images de l’homme politique: sur celle de gauche, il pose debout avec sa femme Chantal Compaoré; sur celle du milieu, avec son conseiller René Emile Kaboré; celle de droite correspond au cliché supposément retouché de lui, le visage très creusé, qui circule sur les réseaux sociaux. "Blaise Compaoré selon ses contempteurs", lit-on en légende de la dernière. Sur les deux premières photos, Blaise Comparé paraît bien plus jeune que sur la troisième.
Son entourage l’a fait poser à côté de son conseiller qui tient entre ses mains le journal du 26 août 2021, soit l’édition de la veille, afin de prouver la date à laquelle la photo a été prise. Une stratégie que René Emile Kaboré explique avoir élaborée en réaction à la propagation de la rumeur. Ayant vu cette image le 25 août, "dès le 26 matin, j'ai publié une photo où j'étais avec le président Compaoré", raconte-t-il à l'AFP, transférant au même moment le cliché en question par WhatsApp pour appuyer ses dires. "Je tenais le journal Fraternité Matin en réaction pour montrer que le président était bien dans son cabinet, et que c'était bien à la date du 26 août."

D’autres sites ivoiriens ont publié les mêmes photos que Fraternité Matin en couleurs, ici et ici par exemple.


Ouverture prochaine du procès de l'assassinat de Thomas Sankara
Ces rumeurs émergent un peu plus d'un mois avant l'ouverture d'un procès historique au Burkina Faso: celui de l'assassinat de l'icône panafricaine Thomas Sankara, tué avec douze autres personnes lors d'un coup d'Etat en 1987. Celui-ci débutera le 11 octobre à Ouagadougou, a annoncé le 17 août le procureur militaire du pays.
Mi-avril, le dossier avait été renvoyé devant le tribunal militaire après la confirmation des charges contre les principaux accusés, dont l'ex-président du Burkina Faso Blaise Compaoré, 34 ans après la mort du "père de la révolution" burkinabè. Outre M. Compaoré, 12 autres accusés seront jugés pour "attentat à la sûreté de l'Etat", "complicité d'assassinats" et "complicité de recel de cadavres". Davantage de personnes étaient mises en cause initialement, mais "beaucoup d'accusés sont décédés", selon les avocats de la partie civile.

Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1983, le président Sankara a été tué par un commando le 15 octobre 1987 à 37 ans, lors d'un putsch qui porta au pouvoir son compagnon d’armes d'alors, Blaise Compaoré. La mort de Sankara, surnommé le" Che Africain", était un sujet tabou pendant les 27 ans de pouvoir de M. Compaoré, lui-même renversé par une insurrection populaire en 2014.

L’affaire a été relancée, après la chute de M. Compaoré, par le régime de transition démocratique et un mandat d’arrêt avait été émis contre lui par la justice burkinabè en mars 2016. En février 2020, une première reconstitution de l’assassinat de Sankara s’était déroulée sur les lieux du crime, au siège du Conseil national de la Révolution (CNR) à Ouagadougou. L'ex-président burkinabè vivant actuellement en Côte d’Ivoire, pays voisin du Burkina Faso, où il s'était enfui après sa chute et dont il a obtenu la nationalité, il devra être jugé par contumace, sauf à se présenter volontairement devant ses juges mi-octobre.